Enquête judiciaire probable
Tout Rodrigues pleure Pascal Salon, sculpteur hors pair, décédé à l’âge de 27 ans. Les circonstances de sa mort à l’hôpital de Crève-Cœur dans la soirée de jeudi demeurent encore inexpliquées. Ses parents ont fait appel au Dr Amacharya Gajullu, ancien médecin légiste exerçant dans le privé, pour pratiquer une contre-autopsie. Il a prélevé des échantillons sur le cadavre aux fins d’analyse. Les résultats seront communiqués aux parents dans une semaine. C’est la première fois aussi qu’une famille de Rodrigues a recours à un tel service.
Le Dr Satish Boolell, Chief medical officer, qui a pratiqué l’autopsie samedi, a attribué la cause du décès à un œdème cérébral et pulmonaire. Il fera lui aussi analyser des échantillons de sang avant de soumettre son rapport officiel.
Les parents n’ont pas encore déposé de plainte au ministère de la Santé ou à la police. Mais, étant donné qu’ils soupçonnent un cas de négligence médical, l’affaire fera probablement l’objet d’une enquête judiciaire au cours de laquelle des membres du personnel paramédical et médical et les parents seront appelés à donner leur version devant un magistrat.
L’artiste souffrait de dépression nerveuse et suivait même un traitement à l’hôpital psychiatrique Brown-Séquard à Maurice. Selon des amis et à partir des renseignements glanés dans son entourage, il montrait des signes d’agressivité mardi dernier. Il avait été admis à l’hôpital dans la matinée, soit le même jour où il aurait dû prendre l’avion pour Maurice en vue de son traitement.
Surdosage d’anti-dépresseurs ?
Son état ne permettait pas un tel déplacement. “Il était à bout de nerfs et des fois il ne dormait pas pendant cinq jours. Mais il n’y avait pas de siège rabattable pour le transporter en position allongée à bord de l’ATR”, explique sa maman, Brigitte, une ancienne infirmière à l’hôpital. Celle-ci, qui connaît les rouages du milieu hospitalier, soupçonne qu’il y a eu surdosage d’anti-dépresseurs (normalement du valium ou des équivalents) ou un mismanagement du cas.
Le père du sculpteur, Darsili, cadre à la Barclays Bank de Rodrigues, arrive difficilement à expliquer cette disparition et laisse plutôt le soin à son épouse de parler des “zones d’ombre” entourant la mort de leur fils. “A ce stade, je ne peux me prononcer sur les causes exactes de sa mort. Le certificat de décès fait état d’un œdème cérébral et pulmonaire, mais nous attendrons le rapport du Dr Gajullu avant d’entreprendre toute action”, confie Darsili, écrasé de douleur, à son retour chez lui, à Mont-Lubin, après les funérailles de Pascal, samedi. Le sculpteur était apprécié de tous et un grand nombre de parents et d’amis ont tenu à lui rendre un dernier hommage.
Brigitte est déterminée plus que jamais à faire la lumière sur la mort de son fils. “Je ne comprends pas comment le médecin traitant disait qu’il récupérait à 90 % à 14 heures et qu’à 20 h 30 on m’annonçait sa mort. J’ai aussi appelé à 18 h 25 et on me disait qu’il était dans un profond sommeil et que son état s’améliorait”, dit-elle.
Une dernière exposition en avril
Interrogé, le Dr Shivalingum Ramen, directeur de la Santé à Rodrigues, confirme qu’une enquête interne est en cours à l’hôpital de Crève-Cœur du fait qu’il y a eu contre-autopsie. “Nous attendons le rapport officiel du Chief medical officer avant de nous prononcer. Mais selon le médecin traitant, on lui a administré la dose normale et beaucoup moins que ce qu’on lui administrait pour son traitement dans le passé. On avait décidé de l’envoyer à Maurice, mais il était devenu trop violent pour pouvoir voyager en avion”, explique le Dr Ramen.
La maman a aussi fait sa petite enquête en milieu hospitalier. Selon elle, le dossier de son fils était introuvable alors qu’il suivait un traitement à l’hôpital Brown-Séquard depuis deux ans, on ne l’aurait pas intubé et son corps aurait été envoyé à la morgue avant l’arrivée des policiers à 22 heures.
Pascal était l’aîné d’une famille de six enfants et a aussi une sœur adoptive. Depuis l’âge de 17 ans, il s’est spécialisé dans la sculpture en papier mâché. Ses œuvres, installées à côté de son corps, inerte, dans le salon de la maison, ont été réalisées avec beaucoup de talent et de finesse. Peintes de couleur or, elles ressemblent au bronze au point de s’y méprendre.
L’artiste aimait sculpter des silhouettes féminines et des scènes de la vie à Rodrigues, dont des coupeurs de corail et des pêcheurs. L’express Rodrigues du mercredi 26 avril lui avait consacré un portrait sous le titre de Il se bat pour son art. Il évoquait, dans l’article, les difficultés auxquelles ont à faire face tout artiste qui n’est pas membre d’une association ou proche des politiciens. Il a dû “aller de boutique en boutique” pour distribuer les brochures de son exposition à l’Alliance française.
Rien ne prévoyait une fin si brusque. Du 12 au 27 avril, il avait pu exposer ses œuvres à l’antenne de l’Alliance française, à Port-Mathurin et avait animé un atelier de travail sur le papier mâché. Il a consacré deux mois de travail à cette expo. Sa maman nous confiait aussi qu’il voulait se lancer également dans un projet de recyclage du papier, dont la fabrication de bacs à riz et autres denrées, en papier mâché.
Le sculpteur s’en est allé, mais il a laissé une empreinte indélébile. Sur le comptoir du restaurant Le Capitaine, à Port-Mathurin, une sculpture en papier mâché nommé La Serveuse témoigne de son passage.
Anil RAMESSUR
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